
LA MONTAGNE SAINTE-VICTOIRE
Un peu de géographie avant de passer à la partie plus sportive. La montagne Sainte-Victoire se trouve dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, à l’est d’Aix-en-Provence.
Elle est mondialement connue grâce au peintre Cézanne qui l’a représenté sur bon nombre de ses œuvres. Il faut dire qu’il y a pire comme muse !

La montagne Sainte-Victoire culmine au pic des Mouches ( 1 011m) , ce n’est donc pas la fameuse croix de Provence qui est le point le plus haut. C’est le deuxième plus haut sommet du département.
La Sainte-Victoire est un spot de prédilection pour vos outtrip dans la région puisqu’elle est pratiquement appréciée par les randonneurs, les traileurs, les vététistes, les parapentistes et est un site naturel d’escalade de folie avec plusieurs centaines de voies répertoriées.
Le prieuré Sainte-Victoire est lui aussi très connu, ce sublime monastère construit au XVIIe siècle est dorénavant un refuge limité à 14 couchages, ouverts à tous.

LE TRAIL DE LA SAINTE-VICTOIRE
Le Trail Sainte Victoire fait partie des trails les plus connus de l’hexagone. De par son parcours technique, ses paysages et points de vue magiques et bien entendu par le fait qu’il passe par la montagne Sainte-Victoire.
Le Trail Sainte Victoire comporte plusieurs distances :
- les Crêtes
- le Cézanne
- le Cengle
Les distances varient bien entendu selon les années mais grosso modo : les Crêtes est le parcours le plus long, avec environ 60km et 3000 D+, le Cézanne est celui du milieu avec 40km et 1500D+ et le Cengle est le plus petit parcours avec 13km et 370D+.
Les Crêtes permet de passer par le Pic des Mouches de la montagne Sainte-Victoire et est un parcours assez engagé avec une belle montée technique où il faut mettre les mains. Le Cézanne ne passe pas par le Pic des Mouches mais par le Pas de l’Escalette. Les parcours varient bien entendu année après année.

MON CR DU TRAIL SAINTE-VICTOIRE
Par quoi commencer ce CR du Trail Sainte-Victoire, plein de péripéties. Déjà par un grand merci. Histoire que tout le monde puisse le lire… de celui qui parcourra ce CR romancé de bout en bout à celui qui se contentera de picorer les premières lignes. Un grand merci à Rémi qui m’a accompagné tout du long sur cette longue aventure… que je n’aurais jamais bouclé sans lui. Mon mental seul ne m’aurait jamais emmené jusqu’au bout sans être accompagné de sa patience et de ses encouragements. Un immense merci à mon coach Mike qui m’a non seulement préparé mon plan il y a 3 mois, accompagné semaines après semaines, écouté douter, râler, baliser, m’inquiéter. Qui m’aura rassuré des centaines de fois « mais si tu peux le faire », m’aura amené sur la Sainte Victoire il y a quelques semaines pour me préparer psychologiquement et m’aura enfin suivi sur les derniers kilomètres. Je n’ai pour l’instant pas assez de distance et de repos pour apprécier à sa juste valeur l’investissement que tout cela a pu représenter, mais je sais pertinemment que cette ligne d’arrivée je la dois aussi à tout l’investissement qu’il a mis dans ma prépa de bout en bout. Pour finir cette cérémonie des oscars, un grand merci à l’organisation pour ce trail très bien ficelé. Un balisage parfait et une organisation sans failles. Et bien sûr un énorme merci aux bénévoles. Certains m’ont fait peine, emmitouflés dans leur doudoune, à braver le froid et le vent de la Sainte Victoire en ce dimanche pour venir nous apporter leur aide. C’est aussi grâce à toutes ces personnes que l’on profite jusqu’à la ligne d’arrivée. Et un merci aussi à ma famille, qui ne me renie toujours pas malgré les petites frayeurs que je leur fais !
Et voilà…cela promettait d’être un parpaing. A peine fini le déballage de remerciements on a déjà fait péter les records. Que veux-tu. Cette expérience vaut son pesant de mots. Rassure-toi tu ne passeras tout de même pas 12h à lire mon compte rendu, mais il va être difficile pour moi de te livrer un récit synthétique d’une expérience qui aura été si riche en tirades intérieures et rebondissements hitchcockiens. J’ai heureusement mis mon cerveau sur pause après quelques heures, puisque plus le dénivelé et le nombre de kilomètres au compteur s’agrandissaient, plus mes pensées s’essoufflaient. Néanmoins, cette épreuve aura été aussi rude pour mes nerfs que pour mes cuissots.

7h du mat, objectif : la montagne Sainte-Victoire
Une nuit blanche. Un trouillomètre sur les starting… Le départ aura été assez difficile et le mental long à la détente. À quelques minutes du départ j’ai le sentiment d’être une imposture totale. Je regrette ma dégaine de traileuse daltonienne du dimanche et mon petit short fluo Nike. Ok l’habit ne fait pas le moine, mais j’aurais pu essayer d’être un peu plus crédible histoire de me fondre dans la masse.
Parlons-en de cette masse… de mâles. Je sens quelques regards amusés, parfois goguenards. J’ai l’impression d’y lire « tiens, encore une qui découvre le Trail », « et celle-là va se prendre la barrière horaire », « t’es venu avec tes parents ma petite ». Ou pas. C’est peut-être moi qui me fait des films. Parce que je ne me sens pas à ma place. Parce que je ne m’en sens pas capable.
Pourtant je me suis entraîné quand même, mais franchement…moi…sur un 60 kilomètres. Laisse-moi rire. Mon estomac se coupe, ma respiration se saccade, j’ai l’impression de repasser mon bac encore et toujours. Le stress n’aide pas mais comment faire pour m’en débarrasser… vivement le départ qu’on en découse !
…je vais vomir
…mon dieu j’ai rien à faire ici
« bonjour, vous n’auriez pas un blog »
« euh si »
… et merde je suis repéré
« c’est super ce que vous faîtes, bravo…continuez »
« ooh merci »
Perdue dans mes pensées auto destructives j’ai eu le plaisir de rencontrer un autre traileur, qui m’a…reconnu. Il y a des mots gentils, gratuits, qui permettent de se détendre un peu ! Merci à monsieur X, dont j’ai malheureusement oublié le nom de m’avoir alpagué, malgré mon air abattu !
Merci à monsieur X, qui aura finalement bien eu son compte rendu de course !
Départ à 10km
Et là enfin, le départ. C’est toujours un moment particulier, nous sommes environ 300, un petit comité. Le speaker lance le go et c’est parti… Rien de plus, rien de moins, nous nous élançons discrètement dans le jour naissant pour une journée qui promet d’être longue…très longue.
Les premiers kms sont les plus durs pour moi. Je suis un vrai Diesel…mentalement et physiquement et mets donc énormément de temps à rentrer dans la course. Mes neurones de l’imposture s’accrochent encore un peu mais je savoure tout de même le fait d’être dans l’action. 3 mois que je me projette sur ce foutu trail Sainte Victoire, c’est bon maintenant j’y suis. Camille galope rapidement devant et me laisse avec Rémi, qui m’accompagnera du début à la fin.
…et merde
…un bouchon
…je joue la barrière horaire moi, dépêchez vous
…
… ça y’est je suis derrière
… je suis la dernière
… pfff je n’y arriverais jamais
… pour qui te prends tu sérieusement
… j’ai fait la reco, ça devrait passer
… accroche toi, je sais que t’as le mental
« Rémi tu penses à quoi là ? »
« rien ? comment ça rien ? »
« comment ça t’admire le paysage »
« moi j’admire mes pieds. Et je pense »
…bin non moi je pense à plein de choses
…si seulement j’arrivais à mettre mon cerveau sur pause

… c’est pas comme si j’avais déjà passé la nuit à turbiner, il devrait être fatigué à la longue non
… apparemment non
… foutu cerveau
« alors la bloggeuse, c’est bien vous êtes parti doucement il faut savoir s’économiser, bon maintenant va falloir le finir pour nous faire un beau compte rendu »
…je lui dis que je ne suis pas partie doucement
…mais à mon rythme
…merde la pression
…si je fais un CR sur le Trail Sainte Victoire il promet d’être long
… il a intérêt à le lire de bout en bout
…
…magnifique ce paysage
…et ce lever de soleil
…
…comment ça on est perdu
…merde on les a suivis sans faire gaffe
…ah non mais moi je ne veux pas qu’on se rajoute des kilomètres là !
…
10 à 15km, à l’assaut de la Sainte Victoire
C’était la portion qui me faisait le plus peur. Pourquoi ? Déjà parce que c’était la seule que je connaissais… et que je savais donc à quoi m’attendre. Des parties escalades, de la crête bien technique, une montée qui te carbonise les jambes avec son 20 à 30% de pente. Bref mon vertige, mes petits cuissots et moi on l’avait catalogué comme LE passage difficile de ces 60kms. Sans oublier le vent, un zef à te faire décoller les tympans. Tout était fait pour transformer cette partie en traversée de l’enfer. Et pourtant…
… ok un pied ici, l’autre là. Première paroi easy
… t’enflamme pas trop non plus
… celle là par contre est hardcore je passe par où ?
… c’est vraiment pas une course pour les petites
… sympa ce passage pour les sub 1m60…
… ok ça passe c’est bientôt fini
… maiiiiis c’est quoi ce vent
… olalala la pauvre bénévole
« bon courage madame »
… la paroi la plus hard
…ça passe ou ça casse
… ça passe ou je crève
… réfléchis pas à ça
… qu’est-ce qu’il raconte le bénévole ?
…140km/heure
… comment ça ?
… je ne suis pas sûre de comprendre
… mais ça peut aller à cette vitesse un vent ?
… genre aussi vite qu’une Merco sur l’autoroute
…OK
…je vais m’envoler
…c’est sûr
…mon Oxsitis va faire parachute et je vais crever

…c’est une belle mort
…enfin quand même
…allez bouge tes fesses
…
…ok j’ai passé le plus dur
…enfin normalement
…
…on s’y remet
…
… c’est quand même superbe ici
… je me ferais bien un petit pique-nique ici
… tranquillou
…ou pas !
…olala du sang
…merde fais gaffe, si tu peux finir avec ton nez entier
…
… youhou un peuuuu de descente !

22km – ravitaillement numéro 2 du Trail Sainte Victoire
… 50mn de marge sur la barrière horaire
… trop cool
… je vais peut-être le faire en moins de 12h finalement
… ne t’excites pas trop non plus
50mn de marge sur la barrière horaire, trop cool
24 au 28km – l’ascension du Pic des Mouches
Une fois la Sainte Victoire derrière moi et le premier ravitaillement passé en étant large sur la barrière horaire, mes neurones se sont un peu calmés. Je ne me visualisais pas à l’arrivée bien entendu mais j’avais passé la partie la plus technique. La deuxième grosse ascension était effectivement moins technique, sans escalade, mais longue, très longue et surtout marquée par ce vent constant qui épuisait le moral ! Pas après pas nous sommes tout de même restés sur un bon rythme et avons atteint le deuxième sommet !
…
…
…c’est donc ça
…mettre son cerveau sur OFF
…ok
…je comprends mieux
…mais c’esssssst quoi ce vent
…sérieux
…ras le bol
…c’est pas humain
…ok continue à ne pas réfléchir
…ça me décolle les bajoues
…sérieusement
…avance
…ah oui mais là je vais m’envoler
…ce n’est vraiment pas négociable
…ouf c’est fini
…c’est quoi cette descente de merde
…je hais les pierriers
…je hais le vent

…accroche toi
Alllll by myseeelf
…non mais vraiment
…pourquoi j’ai Céline Dion dans la tête
…pas maintenant Céline
…tiens encore des gouttes de sang
…c’est peut-être le même mec que le sang de toute à l’heure
…on va jouer au Cluedo à l’arrivée,
…qui a perdu du sang dans la montée du Pic des mouches
qui a perdu du sang dans la montée du Pic des mouches
…moi et mes idées à la con
…en même temps un Cluedo trail ça peut être top non
…surtout que c’est un super terrain pour commettre un meurtre
…entre ce vent de maboule qui masquerait les hurlements et le vide partout
…c’est idéal
…je pourrais peut-être écrire un livre là-dessus
…meurtre sur la Sainte Victoire
…le premier meurtre lors d’un trail
…l’arme du crime : un bâton
…le lieu : Pic des Mouches
…reste plus qu’à trouver le motif
…j’ai froid

…c’est moi qui vais finir par caner à cette vitesse
…ouf le sommet
…non mais là je fais du surplace
…j’en peux pluuuus du vent, je vais pleurer
… oh putain le vide…je m’envole !
… ok un peu de descente
…chouette
Sur certaines portions j’étais à deux doigt de partir dans le décor. Quand tu es un format Polly Pocket et que tu te prends une bonne rafale qui t’embarque un peu trop près du bord je t’assure que tu te fais quelques frayeurs…mais bon le temps passe et tu n’as qu’une hâte…quitter le sommet histoire d’échapper un peu à ce foutu vent !
28km – 32km quand ton cerveau joue les jukebox
…ce vent me casse la tête
…et le mistral gaggggnant
…après Céline, Renaud
…super
…je débloque total
…remettez vous sur pause les neurones c’est mieux pour tout le monde
« pfff c’est plus de mon âge tout ça »
…tiens de la compagnie
« yen a marre de ce vent, c’est ça le mistral »
« ah non, c’est pas le mistral c’est le vent d’est »
32km à 37km – la course contre la montre
Après avoir lutté contre le vent et gravi le pic des Mouches…je pensais vraiment que le pire était derrière nous. Des sensations plutôt bonnes pour un 32km, toujours un peu de mental, la moitié la plus dure derrière nous… je savais que la route serait encore longue mais commençait à me dire que j’allais finalement y arriver. A courir ce 60km. Jusqu’à ce que… le chrono nous rattrape. Nous avions pourtant une bonne marge au ravitaillement précédent. Nous n’avons pas traîné sur les hauteurs, même si le vent nous a pas mal ralenti sur certaines portions. Bref difficile de se retrouver d’un coup pressé par le temps et de devoir accélérer sur des chemins assez techniques. L’adrénaline, la peur de ne pouvoir continuer plus loin à quelques minutes près…je n’ai jamais couru aussi vite et avec autant de rage que sur la descente qui menait au ravitaillement de Puyloubier. Malgré ce foutu vent qui continuait à me fracasser le cerveau, malgré la technicité de la descente et le risque de me faire très mal… tout d’un coup je suis passé en pilote automatique avec un seul objectif : arriver avant la barrière horaire.
« Camille »
« On est short sur la barrière horaire, il nous reste 50mn pour faire 5km »
…mais whaaaat
…attends je ne comprends pas
« on était large sur la barrière non ? on s’est pas arrêté ! Tu plaisantes »
« non »
…ça va 50mn pour 5km, ça fait du 10mn au kilo
…c’est pas les foulées de Vincennes grosse maligne
…10mn au kilo ça va dépendre du terrain
« il est comment le terrain là ? »
« ça monte jusqu’à l’oratoire, et après ça descend »
…c’est mort
…plié
…j’en étais sûre
…je suis nulle
…pas capable de faire un 60km, c’était sur
…oh salut Camille, merde ça va pas ?
…ma pauvre bichette
…allez go on se remotive et on y va
…on a 50mn
…
… mais c’est quoi cette montée intermiiiinable…
… on n’y arrivera jamais
… tchao la barrière horaire
… enfin on arrive à la descente
… c’est trop tendu
… trop technique
… poussez-vous les randonneurs
… à gauuuuche
… je te préviens Rémi, si on se tape la BH, moi je continue même son dossard
…rien à foutre
… je ferais 60km toute seule
…je m’en fouuus
… dépêche toi
… on ne va jamais y arriver
… tu n’aurais jamais dû t’arrêter prendre une story en haut
… est-ce que Kilian prend des story lui
… non
… il ne joue pas non plus avec la barrière horaire
… si t’avais remplie plus rapidement tes flasques aussi
… et fais moins de blagues dans les montées
… all by myself mon cul
… c’est mort pas la peine de te faire une cheville, tu ne l’auras jamais
…
… ce n’est pas possible
… tu ne peux pas rater ton trail à quelques secondes de barrière horaire
… dépêche-toi !
Oooooufffff… une arrivée pile poile à 14h30, charrette sur la barrière horaire donc. Mais quand même dedans. Le stress de ne pas pouvoir poursuivre, la rage d’avoir perdu du temps je ne sais où, je ne sais comment…je ne veux pas traîner aux ravitaillements. Il reste encore pas mal de kilomètres à faire et la fatigue se fait sentir !
37 à 43km – à l’Everest de ma vie
A partir du 37km le mental a commencé à en prendre un coup…au final nous étions très charrette sur la barrière horaire. Il fallait donc continuer, sans avoir le droit à l’erreur. Pas le temps de pleurnicher ni de se poser trop de questions, les 20 prochains kilomètres allaient devoir se faire au mental sans s’écouter.
Sur cette portion. Il a fallu faire face à deux coups durs… l’arrêt de ma Camille qui n’a pas continué, alors que nous l’avions retrouvé au niveau du 32ème km. C’est difficile de voir son amie abandonner par empathie, surtout lorsque l’on sait à quel point les 40 premiers kms étaient éprouvants.
De mon côté, je pensais le plus dur et le plus grimpant derrière…certes. Mais après 40km la montée amenant au refuge de Baudino ne m’a pas épargné. Moins longue que les grimpettes précédentes et moins techniques elle avait tout de même de sympathique portions de côte à 20%. Le mental s’accroche, les jambes avec mais la fatigue est là et mon cerveau se remet très vite sur pilote automatique. Je mange peu, j’alterne entre les gommes Stimium ou Powerbar, une par heure, mais je me suis peu alimentée depuis le début et je commence à ressentir une faim abyssale tout en ayant absolument aucune envie de manger.

… pfiou
… on a passé la barrière horaire de justesse
…allez on continue
…
« Remi, où est Cam ? »
…merde
…les boules
…coup au moral
…ok reconcentre toi
…focus
…aiiiiie
…mais j’en ai marre de me faire griffer
…j’ai un mariage dans 3 semaines
…raaaaaaaas le bol de ces singles avec des ronces
…Oh mon dieu j’ai faim
…genre faim
…comme un tonnerre de faim
…non je ne peux pas manger
…ça me dégoûte
…
…ok un bout de Snickers
…j’en peux plus
…je suis vidée
…au bout de ma vie
…je dirais même au point culminant du bout de ma vie
…à l’Everest de ma vie
…pourquoi j’ai toujours des idées à la con
…c’était bien le marathon comme course
…2 arrêts de métro, le brunch avec les copains à 14h
…parfait
…et non
…toi t’es là dans ta caillasse
…à te taper 8h de blablacar et une tornade à 140km/h pendant 12 foutues heures
…et encore t’es gentille, si t’y arrive
…si tu continues à chouiner t’auras fait tout ça pour rien
…ah non je n’ai pas fait 8h de blablacar pour rien
… accroche toi
43km ( refuge Baudino du Trail Sainte Victoire) – 49km
C’est le moment critique. Tu tiens le bon bout, le plus dur est clairement derrière toi. Mais après 9heures de course et la pression de la barrière horaire le mental flanche. L’abandon n’est plus du tout une option je veux le finir. C’est non négociable. Mais je passe mon temps à checker le chrono pour être sûre de le finir…dans les temps ! Heureusement Mike nous rejoint et apporte un peu de motivation fraîche à notre duo qui fatigue. Il y croit, est déjà fier alors que moi je finis par me mettre dans un autisme automatique…j’avance, je ne réfléchis pas, je percute à peine, j’avance, je ne réfléchis toujours pas.

…Ooooh mike
…coach mike
…
« tu fais une super course, je suis trop fier »
…calmos je ne suis toujours pas arrivé, t’enflamme pas le coach
…toujours charrette sur la barrière horaire
…ras le bol de cette barrière horaire !!!!!!
« mouais »
…
« mange un peu »
… noooon je peux plus manger
« Un petit truc »
… j’ai envie de rien
…si j’ai envie d’une pizza
…j’ai perdu un ongle de pied
…je le sens qui se balade
…je suis une vraie traileuse ça y est
…si ça se trouve je vais enlever mes chaussettes pleines de sang à l’arrivée
« quand elle fronce les sourcils et contracte les épaules comme ça c’est pas bon signe »
… c’est de moi qu’il parle là
… non mais vraiment
…
… montée
… descente
… bientôt les 10 derniers kilomètres
49km – 58km
17h30, je n’ai pas perdu plus de temps sur la barrière horaire mais je suis toujours limite. 10h30 que je cours, je n’ai plus vraiment la notion du temps, je sais juste qu’il faut que j’arrive enfin à bout de cette épreuve. Je n’ai plus d’énergie mais impossible de manger, je bois un peu. Et surtout je continue à avancer. J’ai 1h30 pour faire 10kms, ça peut paraître large mais il reste quelques portions compliquées et je trottine lentement, mais sûrement.
Je n’ai qu’une peur c’est d’arriver trop tard, à 19h10 et de ne pas être dedans. C’est stupide, puéril. Quoi qu’il arrive je l’aurais fait mon beau défi mais si j’arrive après la barrière horaire peut-on vraiment dire que je l’ai fait dans les règles de l’art ? Déjà que je suis bonne dernière alors autant sauver les meubles. Je n’ai plus de notions des kilomètres, de distance. Ça me paraît incroyablement long, Mike me dit qu’il reste seulement 1 kilomètre. Interminable.
Et soudain un bénévole, « il reste plus que vous, ok on vous attend ». Je suis soulagée. Je vais pleurer. Non il faut s’accrocher jusqu’au bout. On retrouve petit à petit Rousset, le bitume annonciateur d’arrivée. Et tout d’un coup je les entends. C’est mon comité d’arrivée, une haie d’honneur. Il n’y a plus d’arche, je le vois de loin. Merde je suis hors délai ? Tout s’embrouille. Je cours depuis 11h55 et tout d’un coup paf j’y suis. Tout ça pour revenir au point de départ. Une journée entière, beaucoup de pensées, beaucoup de fatigue, un dernier pas et bim c’est fini. Pas de pleurs, peu d’émotions, je suis simplement vidée et incapable de réaliser tout ce qui s’est passé.
Tout le monde est content, j’ai juste envie de prendre une douche
Tout le monde est content, et moi j’ai juste envie de prendre une douche et de me mettre en PLS sous ma couette. C’est bizarre comme sensation, cette impression d’être hors du temps et de l’action, comme si tu regardais le film de l’arrivée de quelqu’un d’autre tout en étant totalement détachée de la liesse environnante.
L’après trail Sainte Victoire
7 jours plus tard…j’ai toujours du mal à réaliser. Le retour au quotidien s’est fait rapidement. Je ne veux pas en faire non plus des caisses. J’ai simplement couru 60 kilomètres, pardon trottiné et marché 60 kilomètres. Je n’ai pas sauvé le monde ou torché un Ironman. Il ne faut pas déconner … mais petit à petit je commence à revivre cette expérience et à prendre du plaisir. A me souvenir des passages compliqués dont je suis venu à bout. De ces montées interminables. De ce vent horrible qui a entrechoqué mes neurones pendant presque 12 heures. Ce plaisir dans l’action a vite laissé place au stress de cette barrière horaire qui m’a poursuivie pendant près de la moitié de l’épreuve.
Alors après quelques jours je suis très heureuse de te dire que j’ai adoré cette expérience. Qui m’a appris beaucoup et va me permettre d’apprendre encore pendant quelques temps. Je l’aborde avec autant d’humilité maintenant que je l’ai fini qu’avant de l’avoir commencé. Humilité pour plusieurs raisons… parce que la particularité du trail c’est souvent de nous remettre à notre place, petits humains face aux éléments. Et face au vide, aux bourrasques de vent et aux montées dantesques cela fait du bien de se rappeler que l’on n’est pas grand-chose au final dans cette immensité. C’est une des raisons pour lesquelles j’adore la montagne. Et la nature.
Humilité aussi parce je finis oui. Dernière. Avec un classement de 311/311. Alors oui je suis aussi 25eme nana/25. Oui j’ai déjà fait plus que les ¾ de la population française en ce dimanche 8 avril. Oui je peux être fière de ma prépa et de m’être accrochée jusqu’au bout, d’avoir dévalé des pentes techniques comme jamais et d’avoir tenu au mental pendant 11h55. Mais, parce qu’il y a un mais, cette épreuve marque avant tout le début de mon apprentissage. J’ai été gourmande en voulant sauter le pas et m’attaquer à un 60km très technique, et ai surtout mal anticipé la technicité du terrain. Cela me donne avant tout une très très bonne leçon et la niak pour m’améliorer !
A 29 ans, je cours depuis 11 maintenant, je me passionne pour le trail depuis 2 ans. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre, de technique à acquérir, de terrain à découvrir… Je sais dorénavant que mon mental peut m’amener loin, et qu’il va falloir travailler toujours plus le reste afin que le physique suive.
Le trail Sainte-Victoire en résumé
Outre mes petites péripéties et mes états d’âmes…ce que tu dois retenir du trail Sainte Victoire c’est :
– une très bonne organisation, balisage, chronométrage, ravitaillements…
– un parcours sublime, de beaux paysages
– mais technique… entre pierriers et escalade, c’est un trail très très technique
– plusieurs distances 5,13, 36 et 60km
– une ascension un peu vertigineuse sur la Sainte Victoire
…un trail que je referais avec plaisir, histoire de prendre ma revanche dans quelques années !
La vidéo du trail Sainte Victoire :